À l’heure où les débats autour de la restitution des biens patrimoniaux africains battent leur plein, Joseph Mbarga présente sur la scène littéraire Derrière le sourire du masque. Ce triller percutant fustige le trafic des biens patrimoniaux des peuples africains. Il dévoile l’étendu de la richesse d’un peuple en proie au pillage de ses œuvres culturelles et spirituelles. Il expose le savoir-faire culinaire national. D’autre part, il découvre les vices qui sévissent dans les entreprises et les difficultés auxquelles peuvent faire face les entrepreneurs. Il met des minorités en action en présentant leurs émotions et leurs combats.
L’ambiance dans les entreprises
Joseph Mbarga décrit les coulisses du monde de l’entrepreneuriat. Loin du chic et de l’élégante apparents des grandes structures, il révèle une réalité sournoise et vicieuse. Derrière le sourire du masque permet d’appréhender le monde du travail en mettant à nue ses contradictions. Sous une tonalité sévère, le roman raconte les relations entre collègues. Il situe les employés dans un milieu dominé par la manipulation, la conspiration et les stratagèmes. On comprend aisément qu’en entreprise, les plus performants ne sont pas forcément les plus appréciés. De plus, au nom des intérêts de la structure, certains hommes de main sont prêts à tout pour écraser la concurrence.
Une invitation à la détente
À travers les 465 pages qui racontent les aventures de Mola et d’Alima, on découvre un univers chargé de plaisir, de romance et de recueillement. Ces deux bons vivants représentent le citoyen doualais type sans caricature. En effet, comme la plupart des citadins de Douala, ils aiment gouter aux petits plaisirs qu’offre la culture camerounaise dans son ensemble. D’ailleurs, dans cette œuvre, personne n’ose véritablement faire la fine bouche devant un vin de palme fraichement extrait ou un plat de ndolè accompagné de miondo. D’une page à une autre, on découvre la cuisine camerounaise via ses mets les plus mythiques et ses boissons locales.
Par ailleurs Derrière le sourire du masque n’est pas seulement une ode à la gastronomie locale. Cette œuvre met à l’honneur des écrivains camerounais tels que JR Essomba et Mongo Beti. En se penchant sur les préférences littéraires de Mola, on retrouve la figure du jeune africain désabusé par le rêve européen. Il se traduit une volonté non voilée d’exprimer la pensée indépendantiste et africaniste qui prend de l’ampleur. Cet amour particulier pour l’art africain se matérialise également par les goûts musicaux du personnage principal. Il valorise des légendes de la musique comme Manu Dibango et Etienne Mbappé.
Des personnes hors du commun
Derrière le sourire du masque est une œuvre remarquable sur plusieurs points. On y retrouve des minorités souvent absentes des textes littéraires. L’une d’elle joue un rôle capital dans l’histoire. Elle est comparée à une super héroïne qui vient à la rescousse d’une victime désarmée. Son super pouvoir est sa maitrise des TICN. Elle sait tirer profit des dispositifs de traçage technique, appliquer habilement les méthodes de recherche sur internet et est capable de traquer ou de pirater de nombreux dispositifs connectés. En clair, Alima pose continuellement des actes de bravoure qui permettent de passer outre son état d’albinos. Elle est un personnage très présent et actif qui est impliqué dans la plupart des actions. Sa promptitude et sa maitrise de la conduite de moto la placent au cœur des opérations.
La fille de Mola, Safi, est placée en retrait. Elle n’a aucun impact sur la trame narrative. Bien que le contact ne soit pas profondément établi avec cette fillette autiste, on peut se prendre d’affection pour elle par l’amour que lui porte son père. On la côtoie principalement chaque fois que les pensées de Mola s’adressent à elle. Elles peignent d’ailleurs l’image d’une enfant fragile et douce totalement dépendante. De même, elles expriment la sensibilité et la délicatesse de ce sujet. Mais, malgré sa fragilité, elle démontre que du haut de ses 4 ans, elle a beaucoup de caractère. Elle exprime sa force au cours de la visite au Musée National qu’elle effectue en compagnie de son père.
Le roi de Babonas, Bongando, exprime une volonté déterminée de protéger les biens de son peuple. Il nourrit la mission d’aider la jeune génération à retrouver ses racines, ses langues et son histoire ou simplement à se réapproprier son patrimoine. Parmi les projets concrets qu’il monte, on retient essentiellement la mise sur pied d’un site internet babona.cm. Son objectif est de réhabiliter la vraie histoire de l’île pour permettre à son peuple de profiter de la richesse construite par leurs ancêtres. Il lui permet d’explorer l’apport du numérique dans l’inventaire des biens culturels et spirituels. Sa réalisation est inspirante dans le sens où elle donne les outils nécessaires à considérer pour mener un projet de ce type à bon port.
L’exposition de la culture et de l’art Douala
Par les représentations de l’île de Mvogoua, Joseph Mbarga promeut l’art et la culture Douala. Il met en avant un bon nombre de savoir-faire pratiqué pendant le Ngondo sur les berges du Wouri. En se présentant comme le guide de Mola, Sita le met en contact avec des initiés qui lui inculquent quelques techniques de navigation avec la pagaie et des techniques de lutte. Pour chaque activité, ils lui apprennent à s’habiller pour la circonstance. Les deux séances de coaching auxquelles se soumet Mola renforcent son engagement dans la cause défendue par le roi. Elles lui permettent de saisir amplement l’urgence de transmettre les valeurs patrimoniales.
Le couple de masques de Mvogoua
Les objets culturels africains font office d’œuvres d’art pour plusieurs personnes. Ils sont dans ce sens appréciés pour leur esthétique et pour leur valeur marchande. Ils intéressent des mercenaires et des trafiquants vicieux qui développent des commerces illégaux de sculptures, de tableaux et autres biens culturels authentiques. Joseph Mbarga critique fermement la partie du réseau entretenue par ces africains qui pillent la richesse de leur village avec l’aide de ceux qui sont sensés la protéger. Ainsi, l’histoire du couple de masques de Mvogoua permet de questionner la responsabilité des uns et des autres sur la dilapidation de ces objets précieux.
Un débat autour du patrimoine
Pour résoudre le problème qu’il pose dans son roman, Joseph Mbarga confronte certains points de vue. Le débat le plus virulent appose deux personnages ennemis. Ils passent par des médias et des plateformes présentent sur les réseaux-sociaux pour partager leurs avis. Mbap provoque les échanges en publiant un article portant sur la diffusion et la démocratisation de l’art. Le sujet qui y est élaboré est celui de l’universlisme de l’art. En clair, il met en avant son caractère esthétique et sa valeur pécuniaire. Pour se défendre, il suit et défend la logique des établissements d’exposition classiques.
En réponse indirecte aux déclarations de Mbap, Mola présente un article qui met en exergue les moyens à privilégier pour protéger et diffuser l’art. Il propose, dans ce sens, de dépasser les vitrines des musées et des galeries en explorant toutes les possibilités qu’offre le numérique. Selon lui, cette solution permet de toucher un public assez étendu sans affecter l’intégrité des objets et sans les éloigner des communautés d’où ils proviennent.
En résumé, Joseph Mbarga nous emmène au-delà de la problématique de la restitution des biens culturels africain. Il identifie les responsables de la perte de ces derniers et propose une solution pour limiter les dégâts. Derrière le sourire du masque devient une histoire, un spectacle dans lequel chaque articulation est importante et intéressante. Ce texte répond à de nombreuses questions notamment celles de l’apport de l’art, de la responsabilité des communautés et de la protection des biens culturels et spirituels de l’Afrique.