Annoncé à grand pompe, tel un météorite qui viendrait frapper la terre, « ERA » est enfin arrivé sur les platines. Pardon ! Apparemment, ça ne se dit plus, à l’ère de la course folle aux derniers en tout genre 2.0. Ça se dit plutôt : enfin disponible sur les plateformes de téléchargement et de streaming légaux, y compris dans celui qui est gratuit (d’ailleurs leader dans son domaine), YouTube. En effet, depuis le 17 décembre 2021, la Star Camerounaise LOCKO a commis le troisième album de sa déjà riche carrière artistique et ce, avec faste et solennité.
Un album qu’on dirait de maturité professionnelle, où le très sémillant artiste se réinvente une profondeur d’âme et nous invite à en visiter les méandres. En quinze jets sonores + un remix, il se taille un costume de respectabilité dans l’univers musical du mboa, au moment où une certaine tendance voudrait imposer l’incurie du tout single, au prétexte éculé d’un contexte inapte à mieux, impropre à la production d’album. Sous la direction de Universal Music Africa (UMA), après une attente par trop longue de plus de 18mois pour sa communauté des fans de la Lockomotive, il nous livre au bout, tous ses secrets : un cocktail dînatoire de sonorités mélodiquement et harmoniquememt élaborées, qui se plaisent à l’écoute.
On savoure d’emblée, le premier titre introductif de l’album et qui en annonce les couleurs. « Heal song intro » est une belle petite balade au piano et à un sifflement qui laisse vite place à une orchestration plus nourrie sur fond de soul, nuancée de RnB. Ce qu’il faut dire en fait : c’est qu’on va beaucoup se balader dans des notes pondérées, suaves ou sur des cadences enfiévrées avec juste ce qu’il faut de tonitruant à la sauce urbaine, très « lockomotivante ». Ce titre est à écouter ici :
Ajouté à cela, des collaborations avec un parterre intéressant d’artistes venus d’ailleurs, à la renommée internationale aussi ou mieux établie que la sienne. Ensuite s’enchaînent des titres emballés dans du lustre sans lucre décomplexé de quelques uns de cette génération, fait de l’Afropop, l’essewe et l’assiko et voire le funk, le tout dans une sorte de capharnaüm linguistique entre l’anglais, le français, le francamanglais, le duala et d’autres langues du terroir.
S’ensuit « Come and go », dans des relents RnB très coloré folk mboa, pour dire la vanité, voire la vénalité d’un monde d’humains où tout ce qui vient s’en va inexorablement, presque qu’aussi vite vers les incertitudes de l’existence.
« Fall in love », décrit ce sentiment vieux comme le monde que l’on éprouve à l’endroit de celle/celui inconnu il y a peu, mais à propos de qui, on s’enlace d’un encombrant et mystérieux coup de foudre, à en perdre haleine et tous ses repères dans la jungle de la vie ; dit ainsi sur un tour de chant voluptueux sur une voix fine envoûtante, mais sur des beats numériques sans épaisseur.
Sur le quatrième titre, « Amina », il reçoit la visite du français d’origine camerounaise, TayC, avec qui ils parcourent la silhouette délirante de la divine beauté féminine et l’habillent de suavité phonique, faite tout aussi de beats numériques, mais avec une présence remarquable d’une guitare au jus percutant.
Juste une petite glissade sur la 5ème piste, dans une subtile dansefloor, pour dire l’indécision d’un amour incertain, dans une âme qui n’y croit plus tant, tandis que les anges même semblent se murer dans un silence complice de l' »Indecis ».
Dans la plage 6 (« Belle mère »), il signe un featuring de haute envolée avec Innoss B, un rythme dansant et entraînant, très proche de la rumba congolaise à laquelle nous a habitué son hôte, où ils dressent un plaidoyer saisissant du jeune homme sans ressources, auprès sa belle mère, mais bagarreur à souhait et en capacité de prendre soin de sa dulcinée.
La plage 7 intitulée « Yayé » fait un clin d’œil au moyen de l’essèwè, bolobo, afropop et autres sonorités, à l’un des plus grands classiques du Makossa commis il y a une trentaine d’années par le groupe ESA, « Éyayé », enrichi de quelques déclamation folkloriques, propres au peuple Sawa: « Eguingli yayé, Ewésé ! » ; question de faire une rime autour de ce vocable titre de la chanson et partant de célébrer ses racines ancestrales, ainsi que son ancrage musical patrimonial.
La balade se poursuit sur la piste 8 (« Bloqué »), où l’Afrobeats se sussure sur des notes épicées, où jeu d’instruments et beats numériques se superposent à un tour de chant étincelant.
Encore sur fond d’Afrobeats à la Wizkid, la plage 9 égraine à nouveau une supplique faite à sa bien aimée de ne pas s’en aller, de ne pas le laisser tomber ; en anglais ça donne du « DLMD » (Don’t let me down).
Puis arrive la dixième plage consacrée à la « Sawa lady », qu’on excite à aimer la vibe du beau gosse, avec pour point de départ de celle-ci un zeste de Makossa love suivi d’un basculement énergique dans une Salsa très relevé.
« Don’t call me back », en 11ème position sur la fiche technique de l’album semble sonner une rupture avec le très reluquant chant d’amour, à celle qu’on veut conquérir ou maintenir auprès de soi, alors qu’ici on consomme la rupture et assène l’intimidation de ne plus appeler, de ne pas tenter un retour en arrière, le tout sur un fond musical Afropop récurrent.
De là, on glisse dans la piste 12, pour découvrir un magnifique featuring entre trois monstres sacrés de la nouvelle génération de la musique camerounaise, Locko, Cisoul et Ful, qui distillent des voix juvéniles, extrêmement chatoyantes, sous le titre : « Pardonner ».
Ensuite, le maître des lieux va ajouter des saveurs plaisantes sur le titre en 13ème position : « Ma Prière » ; celle qu’il adresse justement à Zambé, pour la grâce d’aimer et de se construire un avenir avec l’heureuse élue.
Un autre clin d’œil à une autre légende de la musique camerounaise et mondiale, Manu DIBANGO, est déroulé dans le 14ème titre, « Manu luv », comme un hommage au père de Soul Makossa, dans lequel funk et afropop se côtoient sous des couleurs phoniques dessillantes.
La randonnée musicale arrive bientôt à sa fin, lorsque qu’on franchit la 15ème piste de cet opus et rien d’étonnant qu’elle porte pour titre : « Voyage ». Déjà qu’il voyage lui-même dans un featuring avec une autre Star de la pop urbaine française, originaire du Congo, Bramsito, qu’en prime, ils font planer au propre comme au figuré leurs fans sur des sonorités afropop à fort accent dansante, dans ce qui s’apparente à la rythmique ndombolotique, tandis que la go peut rêver d’un tour d’Afrique et au-delà, en montgolfière (conf. vidéo officielle du single préparatif de l’album.) On peut maintenant descendre de la Lockomotive, mais qu’on est invité à déguster un titre additionnel.
Alors, en 16, on a droit au remix de « Même même chose ». Et la boucle est bouclée.
Ce qu’on se doit de dire sur cet album, c’est déjà de féliciter l’initiative de la production d’un album et de se donner le temps et les moyens nécessaires pour cela. Faire le travail musical d’empoigne avec du live studio, savamment combiné à des beats numériques assez éclectiques sur le coup, par endroits participe à enrichir l’œuvre. Surtout, eu égard aux collaborations intéressantes avec des noms qui comptent dans le game en ce moment. Cependant, que l’on a l’impression du piétinement sur place, autour du récurrent et lancinant afropop. Même quand il s’essaie à l’ofrobeat, il aurait pu aller plus à fond, nous servir une orchestration magistrale et une interprétation vocale à sa hauteur.
L’urbanité de ce régime musical limite considérablement les velléités de faire mieux, de sortir de la ritournelle, jusqu’ici gagnante, du fait des succès engrangé. Au moins, on attend mieux en la matière. Autant qu’on peut apprécier à sa juste valeur, les choix opérés en matière de visuels de ce qui semble être la pochette de l’album, avec des allusions subliminales à la réappropriation culturelle bantoue ; des symboles graphiques qui tapissent la dénomination de l’album, au décorum aux tonalités vert émeraude, qui l’entoure, fait de défenses d’éléphant de part et d’autre d’un fauteuil tabouret Royal.
C’est aussi à ce niveau que ce situe le contraste frappant entre l’offre musicale et le caractère patrimonial suggéré par le visuel. Autant qu’on peut déplorer l’insuffisance des informations techniques sur la production artistique, bien au-delà de l’affichage marketing des collaborations déjà évoquées.
Au bout du compte, chacun peut se faire sa propre lecture de l’œuvre proposée par cet artiste, qui inscrit de la sorte son nom au firmament de la bravoure artistique. Pourvu qu’il continue à avancer.