Pendant que » La route des chefferies » transporte les traditions du Cameroun au Musée du Quai Branly Jacques Chirac à Paris, (du 05 Avril au 17 Juillet 2022), Éric TAKUKAM et NGA DAYBOR le déplacent pour la Galerie Annie Kadji à Douala (du 15 Juin au 27 Juillet). Ainsi, le Cameroun est en mouvement depuis 04 mois. On assiste à un véritable retour aux sources. Est-ce là le début d’une prise de conscience commune et de l’éveil du panafricanisme ? L’africanité est en marche on dirait.
DIGITAL SPIRIT, une exposition multimédia
DIGITAL SPIRIT est une exposition complète. Les artistes ne se limitent pas qu’à travailler sur les toiles. Ils s’expriment avec dextérité sur d’autres supports et nous livrent des dérivés: mugs, gourdes, t-shirts, colliers, boucles d’oreilles et sacs. Une exposition qui fait la promotion du made in Cameroon à travers une panoplie d’articles. DIGITAL SPIRIT, une exposition colorée, chargée en énergie forte, riche en techniques et en styles. Dans ce travail, on aperçoit l’art plastique (peinture à l’acrylique), de l’art graphique, de la sérigraphique, du street art, de la sculpture sur métal, de l’installation vidéo-sonore, de l’art numérique, de l’artisanat et de la gravure sur bois. C’est donc une évidence que les artistes intègrent et adoptent de plus en plus ces avancées technologiques dans leur processus créatif, d’où DIGITAL SPIRIT.
Eric TAKUKAM et NGA DAYBOR appellent à un véritable retour aux sources
DIGITAL SPIRIT est un duo de réflexion sur la spiritualité camerounaise, sur les valeurs chères à nos traditions et sur la digitalisation/numérisation de nos coutumes. Voilà ce qui a meublé le corpus du devoir de mémoire de Éric TAKUKAM et de NGA DAYBOR. Ces deux artistes transportent le village pour la ville. Par coïncidence, ils viennent tous deux de l’Ouest mais décrivent aussi les autres régions du Cameroun. Ils effectuent un travail profond sur nos cultures et nos coutumes. Ils démystifient la tradition et appellent les africains à un impératif retour aux sources. Même s’il est vrai que les deux hommes ont une approche artistique différente, il n’en demeure pas moins qu’ils ont une vision commune sur la valorisation de notre identité culturelle.
NGA DAYBOR, garant de la conservation et de la promotion du patrimoine africaine
Émile Ngameni est son nom de famille. Il est un artiste visuel professionnel. Autodidacte, c’est en 1994 qu’il commence à dessiner. En 2000, il présente sa première exposition collective avec les aînés du métier. C’est le début de la construction d’une véritable carrière pour Émile Ngameni. De plus en plus mature, il décide d’ouvrir son propre atelier de peinture, Dabor-Art, en 2003, qui lui permet de financer en grande partie ses productions et expositions individuelles. C’est ainsi qu’en 2005, avec 35 œuvres, il présente sa toute première exposition individuelle au sein de l’atelier Viking sous le thème : « Vies plurielles de Nga Daybor ». À partir de là, le train est lancé. L’artiste intensifie ses recherches, développe ses idées, participe de plus en plus à des expositions, tant sur le plan national que sur le plan international. Son parcours est riche en expositions et collaborations.
Son travail est très narratif. Il raconte notre quotidien avec les mots de la tradition et de la culture, avec un goût de modernité. Les couleurs qu’ils utilisent sont vives, symboles de la vie, de la gaieté et du bonheur. Il aime transmettre les bonnes énergies à ses personnages et à ceux qui regardent ses tableaux. Très culturel dans ses œuvres, l’artiste prouve que c’est l’Afrique qui nourrit le monde. NGA DAYBOR a développé une technique qu’il baptise 5ND (cinquième dimension NGA DAYBOR). Elle est inspirée des pixels numériques et lui permet de créer des univers fantastiques dans lesquels sont noyés des objets ou des scènes traditionnelles lui permettant ainsi de rendre son travail moderne et contemporain. Ces minis carrés transparents qui s’entremêlent et s’entrechoquent représentent aujourd’hui sa signature. En dehors de cette signature visuelle, NGA laisse transparaître sur ses œuvres des gribouillages de fines lignes blanches en acrylique. Si vous prêtez attention à ce semblant de désordre, bien ordonné, vous vous rendrez compte qu’elles transportent des messages.
Les travaux de NGA DAYBOR
Il est presque difficile de définir avec exactitude son travail. Il mélange avec aisance le surréalisme, l’abstraction, l’impressionnisme, le réalisme, le pop art… En fin de compte, on peut définir son travail comme de l’abstraction figurative. Il dessine à merveille les motifs africains. Pour cet artiste, la tradition est le socle d’une société. De ce fait, l’identité culturelle devrait être préservée.
- Title: Mask Afrique F . Technique: Acrylique sur toile. Dimension :150*200cm Année : 2021.
La toile présente un masque africain avec le regard viré vers l’objectif. Sur sa tête ovale semblable à une prune se trouve un fruit entier: la cola, symbole de la paix, de l’unité et de la protection. Elle porte une fissure sur son ventre, symbole de maturité. Cette longue fissure laisse voir le fruit dans son emballage naturel. Les larges oreilles de ce masque ressemble aux extrémités du fruit de l’arbre tetrapleura encore appelé ésese ou 4 côtés qui sert à assaisonner la sauce jaune et le nkui. Deux cauris représentent les yeux du masque. C’est un objet utilisé pour les rites notamment la voyance et pour la décoration. Jadis, il servait de monnaie. Tout juste en bas de ces yeux, on remarque deux morceaux de ndop qui n’ont pas la même taille. Ce masque africain au couleur de la terre des villages de l’Ouest posé sur un fond d’impressionniste constitué de pixels à deux tons dégradés (blanc et rouge). Le fondateur de la 5ND a voulu nous montrer qu’il est possible de sculpter les masques en s’inspirant des merveilles de la nature : les fruits.
Un léger trait divise la cola en deux parties égales. Ces deux parties présentent 7 points lumineux : sur la première partie, on trouve trois points lumineux (blanc, rouge et jaune) et sur la seconde partie, on note quatre points (rouge foncé, jaune, rouge dégradé et blanc). En spiritualité, le chiffre 3 représente la terre. C’est le signe spirituel de la création. En géométrie, il forme un triangle, symbole de l’intelligence et de l’harmonie parfaite. Le 3 représente le toit au-dessus de la maison. Le 3 réunit le corps, l’esprit et l’âme.
Par ailleurs, le 4 c’est la terre. Par ses parties égales, le chiffre 4 apporte la stabilité et l’équilibre. La vie se matérialise à travers les quatre éléments de la plante : la racine, la tige, la fleur et le fruit. Pour se protéger, l’homme dresse les quatre murs de sa maison. Chaque angle lui permet de se repérer dans l’espace infini. Avant de s’élever, il est nécessaire de poser les fondations (quatre murs).
L’association du 3 et du 4 donne naissance au chiffre 7. Sept comme les sept jours de la semaine, les couleurs de l’arc-en-ciel. Ce chiffre revêt un sens sacre. Il dispense la vie et représente le mouvement. Il symbolise la totalité de l’univers. C’est un chiffre victorieux. Il fait appel à l’éveil et à la lucidité, à la croyance et à la spiritualité, à l’élévation et à l’éveil spirituel ainsi qu’à l’acceptation et au développement spirituel. Le tableau Mask Afrique F est une toile qui reflète la consigne de l’exposition : digital Spirit. Voilà décrit le message de ce masque africain, une création originale de l’artiste visuel NGA DAYBOR.
Eric TAKUKAM le « villadin » (un villageois-citadin)
Eric TAKUKAM est un artiste digital autodidacte, directeur artistique publicitaire, designer textile et entrepreneur camerounais. Il est le fondateur des marques BoTchad ( www.botchad.com ), Numta et Froma. De 2010 à février 2017, il a été Directeur Artistique en agence de communication. Aujourd’hui, il a définitivement embrassé la carrière artistique. Influencé par Keith Harring, le nigérian Laolu et la sud-africaine Esther Malhangu, il valorise les symboles culturels africains à travers les tableaux, le textile, la création d’installations, et aussi la personnalisation d’objets comme les calebasses.
À travers le projet Fantastic Cameroon, l’artiste a créé une série d’œuvres modernes avec une authenticité africaine. C’est avec aisance que Eric TAKUKAM le « villadin » (un villageois-citadin) « amène le village en ville » en partageant, avec les citadins, des créations modernes à l’esprit traditionnel. Influencé par Keith Harring et Laolu, il valorise les symboles culturels africains à travers ses peintures, ses installations, ses créations textiles, et aussi la personnalisation de divers objets.
Les travaux de Éric Takukam
DIGITAL SPIRIT est sa toute première exposition. Mais, elle ne donne pas l’air. Il a proposé un travail bien varié entre: toiles imprimés, mugs, gourdes, t-shirts, colliers, boucles d’oreilles, trombones en miniature et sacs. Ceci montre à juste titre qu’il est polyvalent et qu’il s’est longuement préparé pour se dévoiler.
La case de la purification , une installation vidéo
Lorsqu’on entre à la Annie Kadji (Bonapriso face restaurant des 5 fourchettes), un lieu retient notre curiosité: la case de la purification. C’est une installation multimédia qui réunit : la Chefferie, le portrait du Roi, les représentations sculpturales du roi, de la reine et du prince: hommes trombones + Calebasses…
Eric Takukam nous entraîne à la découverte de la chefferie. Elle nous offre à l’entrée, le salon du chef, lieu où il rencontre très souvent des notables et des amis pour échanger sur la situation du village en mangeant des noix de cola. À côté de celle-ci, on retrouve des sculptures des membres de la famille royale. Au mur, le portrait du roi est accroché. Les traits de cet homme mystère aux multiples facettes y sont parfaitement illustrés.
Plus loin, nous remarquons »la case de la purification » qui est une installation vidéo. Elle décrit le cheminement de la purification pour tout enfant qui retourne au village dans l’optique de se débarrasser des »mauvaises ondes » et d’appeler sur lui des bénédictions. Cette purification, comme l’artiste l’explique consiste très souvent à nourrir les ancêtres avec parfois des jujubes, un met traditionnel à base de farine de maïs et du sel qu’un initié mélange et lance à travers la concession. Au fil du rituel, le fardeau de son bénéficiaire s’allège. Il trouve des solutions à ses problèmes dans ce cheminement en allant à la rencontre du »sage » qui lui donnera des recommandations sur la manière d’éviter certains pièges de la vie. La télévision du chef, montre une œuvre vidéo sonore. Ces tableaux sont faits par ordinateur ou par une tablette numérique puis animés. En fin de compte, il y’a pas de spiritualité sans esprit.
Cette exposition colorée et riche en promotion de la culture africaine s’achève le 27 juillet 2022. La galerie Annie Kadji est ouverte de Mardi à vendredi, de10h à 18h. Vous pouvez contacter l’équipe pour une visite privée (+237) 695 330 362.