Couleurs aux Humanités Invisibles
Ça y est, c’est lancé avec le vernissage qui a eu lieu ce jeudi, 29 avril 2021. L’exposition Humanités Invisibles ouvrait ainsi ses portes à un public venu nombreux, malgré la météo qui avait alors décidé de faire des siennes, aux approches de l’heure fatidique de 19h. Annie KADJI Art Gallery a pleinement rempli ses obligations, offrant à ce public bon enfant, des moments d’extase, face à une trentaine d’œuvres proposées par une dizaine d’artistes de très grand talent. Du talent déborde en effet des propositions artistiques soumises à appréciation, faites par Patrice Kemplo, Jean Daniel EPOMBO (Noug Ouch), Boris ANJE, LEUNA NOUMBIMBOO, Alida YMELE, Raoul WANSI, Rostand POKAM, William BAIKAMO, Lambert EBODE et moi-même NGAMBI Élie Walter aka NEW.
Est-il besoin de rappeler que l’événement en lui-même s’inscrivait dans le cadre de la célébration de la Journée Mondiale du Travail Invisible, même si c’est avec un décalage temporel conséquent par rapport à la date qui était retenue pour cette année, le 6 avril, premier mardi du mois en question. Cette célébration visant globalement à attirer l’attention sur l’apport considérable que représente le travail laborieux des femmes au foyer et d’autres travailleurs dont l’effort ne bénéficie pas d’une exposition publique conséquente. Dans cette perspective, les artistes sollicités par la galerie étaient amenés à proposer leur vision de ce que représente cette humanité sur qui se pose très peu, les projecteurs valorisants et de traduire cela dans des offres et démarches qui leur sont propres, sans d’interdire au besoin de sortir de leur zone de confort.
Vraiment là-dessus, tous nous nous sommes lâchés pour de vrai ! Rendant cette offre thématique fortement colorée et d’une variété epoustouflante dans les allures formelles suggérées ça et là.
On peut noter chez Patrick Kemplo, une plongée subliminale dans les méandres de l’indigence qui étreint une petite enfance livrée très tôt aux vissicitudes de la débrouillardise pour survivre ce, dans un jeu très chatoyant de couleurs aux relents fauves, pourtant résolument pastelles, cuites à point, combinées à des découpages graphiques de la composition, pour faire jaillir le contraste frappant entre l’âpreté existentielle et le smiley qui faut lui opposer.
Noug Ouch, fidèle à la déclinaison naïve de personnages très urbanisés, stylisés de façon longiligne, mais renforcés de tonalités éparses, dont ils imprègnent leur environnement, fait ainsi allusion à ce mélange des gens et des situations socio-économiques, dans une profusion de couleurs qui sortent une certaine Humanités de l’ornière de l’invisibilité.
Boris ANJE quant lui nous a décliné une série de portraits à la Andy Warhol, haut en couleur, qui ne sont pas sans rappeler, les débrouillards du quotidien qui jonchent nos rues africaines, mais dont les aspirations professionnelles ou sociales viendront difficilement rencontrer la lumière des projecteurs ; alors il leur taille lesdits portraits, comme pieds de nez au consumérisme d’une société déshumanisée, désarticulée.
Lorsqu’on se plonge dans l’offre faite par LEUNA NOUMBIMBOO, on est tout de suite saisie par la dextérité avec laquelle elle coud sur des morceaux de vie humaine dans des formes entremêlées, diffuses, son attachement invétéré à la mère nature, dans l’étreinte amoureuse entre la pénibilité de l’existence et l’espoir d’une meilleure exposition au soleil de la bonne fortune.
Avec Alida YMELE, le travail invisible de ses nombreuses femmes, épouses, mères au foyer, ménagères retrouve une once de lumière, contoyant dans la quotidienneté de leurs atours, toutes les vertus extraordinaires des atouts économiques et sociales qu’elles apportent à cette humanité ; depuis les instants où elle la portent dans sa matrice et la font sourire à la vie.
Raoul WANSI nous plonge dans un quotidien très lumineux, effaré de couleurs et de lignes délirantes d’émotions, pour nous donner à voir le paraître des êtres sans facéties, qui déambulent leurs atours et atouts dans l’espace urbain, pour se bâtir une place même modique sous la brillance des soleils factices de ce monde.
Des tâches de lumières et de couleurs vives, très Impressionnantes dans leur impressionnisme, pour façonner des douleurs avec lesquels des êtres humains sans prétention assènent leur puissance sur leur accomplissement au quotidien ; tel est le regard de Rostand POKAM sur cette humanité si invisible.
Des bouts de vie dessinés sur du papier par William BAIKAMO, retrace ce quotidien d’incertitude, de bravoure et de bravade au sort, qui étreignent une humanité en clair obscur, qu’il sait si bien représenter dans une délicate abstraction et dans des traits zoomorphiques très expressifs.
Et le regard se décline subrepticement vers Lambert EBODE, qui victime de cambriolage il y a quelques jours s’est entièrement prêté au jeu en donnant à voir les œuvres rescapés : dans un dédale de couleurs et de tracés très prononcés, il fait allusion à des métiers (cordonnier pourquoi pas chaussurier, planteur), qui ne brillent pas de mille soleils, mais dans lesquels se façonnent pour autant des existences fières et altieres.
Enfin moi, NEW, au fond de la classe, par contre visible de très loin, donnant de la visibilité à des importances essentiels, à des bouts de rêves et d’existence qui se subliment dans cette Humanités Invisibles.
Une très belle exposition collective en somme. Elle court jusqu’au 29 mai 2021. Un coup de chapeau à toutes l’équipe administrative et technique qui l’a rendue possible et un de participer à ce bout de femme si dynamique, entreprenante et professionnelle, Bienvenue FOTSO. Vivement que les promesses des fleurs artistiques ainsi achalandées dans cet espace, puissent produire des fruits reluisants, goûteux de belles acquisitions par des collectionneurs et autres amateurs d’art, friands d’un esthétisme africain lumineux !