Originaire d’un « petit bourg en périphérie de Douala nommé Bomono, qui est le plus beau village du monde » comme il le dit lui-même, Stéphan Dipita est un as de la scène. Du haut de ses 27 ans, il explore toutes les facettes du théâtre. Son parcours est remarquable et exceptionnel. À travers ses multiples représentations, il porte chèrement l’objectif de transmettre au public le bonheur qu’il éprouve sur scène. Stéphan Dipita partage son expérience avec les lecteurs de Tallartistik.
Quelle est la scène qui vous a mis en lumière ?
Je dirais que c’est le Festival Universitaire des Arts et de la Culture qui m’a propulsé au-devant de la scène en 2015. Mais dès 2013, mon potentiel avait été révélé le temps d’une déclamation de poème pour l’Université de Douala au même festival. J’avais lamentablement perdu à l’époque mais ce feu sacré était déjà là.
Qui est le mentor de Stéphan Dipita ?
Il s’appelle Tankoua Rodriguez. C’est lui qui m’a activé si je peux le dire. Il a ouvert une porte en moi et il m’a dit « regardes ce qu’il y’a à l’intérieur…tu as tout pour toi ! ». Et le pire c’est que je ne savais pas que j’avais toutes ces choses en moi. Il a été derrière mes victoires nationales sur le plan artistique universitaire en 2015 et en 2018. J’y suis jusqu’à présent l’artiste le plus primé avec trois épis d’or en argent. Si vous trouvé que je suis un génie, alors Tankoua Rodriguez fabrique des génies. Je l’appelle affectueusement l’artisan des artistes.
Quels sont les projets que vous avez accompagnés jusqu’ici en tant que comédien ?
J’ai joué dans La Table du seigneur avec la troupe universitaire de Douala au Maroc en 2015. En 2016 je remporte le prix découverte Goethe théâtre en compagnie de Julien Eboko, Pipou Sirielle et Le Berger. Cette année marque aussi ma toute première participation au Festival Nuit Blanche, d’où s’en suit une longue et belle série de création avec les plus grands metteurs en scène du Cameroun, si ce n’est d’Afrique.
En 2017, je vais au Congo Kinshasa pour les JOUCOTEJ (Journées Congolaises de Théâtre pour l’Enfance et la Jeunesse). À mon retour je suis sollicité dans plusieurs projets. Celui auquel je me consacre finalement est celui de Éric Delphin qui montera une pièce jeune public de Pierre Gripari intitulée Inspecteur toutou, qui est une ballade dans les contes populaires français. On tournera avec elle dans toutes grandes salles de spectacle à Douala et Yaoundé.
En 2018 pour le festival Compto’art54 avec Martin Ambara qui avait réuni la fine fleur des planches de Douala et de Yaoundé autour de la pièce de théâtre La Forêt illuminée du Pr. Gervais Mendo Ze. C’est une belle pièce qui questionne la morale dans une société tiraillée entre devoir personnel et égoïsme. En 2019 on réitère l’expérience cette fois avec une épopée Beti Den Bobo toujours pour le festival Compto’art54.
Et en janvier 2020, j’ai été distribué pour la pièce de théâtre Prom’nons dans les contes actuellement en tournée. Cette année marque aussi l’année de tous les défis. J’avais envie de passer de l’autre côté de la scène et d’impregner de ma Philosophie, de mon expérience et de ma sensibilité une création. Alors j’ai été à la baguette pour réaliser Roméo ou Juliette de Julien Eboko qui a été un franc succès.
Qu’en est-il du parcours de Stéphan Dipita l’humoriste ?
Je commence en 2017 avec un show privé au Root café. Au début il y’avait que les membres de ma famille et quelques amis qui venaient au spectacle. Parfois j’avais l’impression qu’ils riaient juste pour m’encourager. Puis à mon retour du Congo, j’ai été programmé aux Champs Élysées pour un spectacle. Champs Élysées c’est le nom d’un restaurant qui est ou était Sous tutelle de l’Institut Français de Douala. La même année je me lance en duo avec Julien Eboko et on fait la première partie de Valéry Ndongo et Major Asse pour leur spectacle L’appel du peuple2.
En 2018, on fait la première partie de Martial pour son one man froid. Puis, la même année on signe notre premier contrat avec l’Africa Stand Up pour Canal +. Pareil en 2019, première partie des sénateurs pour le two men show. Aujourd’hui je prépare mon prochain Spectacle solo en faisant des apparitions remarquées sur des scènes et cafés de la ville.
Et soucieux de transmettre mon modeste savoir des arts de la scène, je suis moniteurs d’ateliers dans la caravane des dix mots de la Francophonie depuis 2015.
Entre humoriste, comédien et metteur en scène quelle est la casquette la plus difficile à porter ?
Je ne pense pas que ce soit difficile de faire ce dont on a toujours rêvé de faire. J’adore ces trois casquettes parce qu’une seule ne suffit pas pour montrer au public l’étendue de mon potentiel. Cependant être humoriste a plus de contraintes parce que contrairement au théâtre où tu as pour béquilles le décor, les lumières et tes partenaires, l’humour a ceci de compliqué que tu es seul face à ton auditoire et tu ne peux pas tricher. Ça passe ou ça casse. En tant qu’humoriste, on a tous connu ces moments frustrants où le public ne rit pas. Si tu n’as pas la motivation nécessaire tu peux être tenté d’abandonner. Mais la beauté de l’humour vient du fait que l’artiste ressent une communion particulière avec le public lorsque son travail est bien fait.
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Quelle est ton expérience la plus marquante ?
Mon expérience la plus marquante… C’est un projet que j’ai monté avec les orphelins de Maranatha. En 2018, nous avons élaboré ensemble une pièce de théâtre qu’ils ont présentée devant un grand public. C’était pour moi un moment de révélation. Ces enfants me donnaient une leçon de vie. Ils démontraient que malgré leur état d’orphelin, ils étaient des enfants extraordinaires. Personnellement, humainement et artistiquement c’était fabuleux !
De Tallartistik à Stéphan Dipita, comment se porte le théâtre au Cameroun ?
L’art en général et le théâtre en particulier se portent mal. Ceci est dû à plusieurs facteurs : manque de politique culturelle de la part du gouvernement, un public pas très ouvert sur la question artistique à cause d’un manque d’éducation culturelle. Je m’explique ! Comment un enfant de 6ème qui n’a pas reçu une éducation théâtrale peut-il, une fois grand, avoir le réflexe d’aller au théâtre ? Quand on met au programme des œuvres, comme le Cid de Corneille, qui ne renvoient en rien à son imaginaire, tant dans l’époque, le parler que les mœurs, il se sent forcé à lire du théâtre. Dans ce cas, pour cet enfant, le théâtre restera synonyme d’étrange. Donc le gouvernement doit valoriser des œuvres africaines qui parlent à ces jeunes pour que plus tard, ils soient les premiers à venir regarder des spectacles.
Actuellement il faut créer un public qui n’existe pas. Parce que pour beaucoup aller au théâtre et à une exposition, reste encore un acte élitiste. Ce sont « les choses des blancs » comme beaucoup le pense. Pour certains le théâtre renvoie aux sketchs. C’est compliqué mais le dernier spectacle Roméo ou Juliette montre quand même qu’il y’a une réelle effervescence autour du théâtre. Il a été brillement porté par de jeunes auteurs et metteurs en scène qui produisent pour un public jeune et se saisissent des réseaux sociaux. L’avenir est prometteur pour le théâtre au Cameroun. Vous savez ce qu’on dit, les difficultés ne sont qu’un autre nom donné aux opportunités.
Qu’est-ce qu’on devrait concrètement faire pour promouvoir l’art de la scène ?
Comme je le disais, il faut éduquer le public de la base vers le sommet ; dediaboliser l’acte d’aller au théâtre en démocratisant les arts de la scène ; avoir des salles de spectacle dans chaque arrondissement avec des troupes locales qui feront des représentations constantes ; investir davantage dans les festivals et veiller à créer des vocations autour des arts de la scène etc… Dans un pays où le taux d’emploi est minable l’art peut décongestionner les couloirs du chômage. À condition qu’il y’ait une vision cohérente sur le long terme.
D’après Stéphan Dipita, qui devrait faire plus pour le théâtre ?
Les acteurs du milieu culturel en commençant par les comédiens eux-mêmes doivent donner envie… C’est pour cela que la communication par l’image est importante sur les réseaux sociaux. Parce que quand tu dis à une personne que tu es comédien, pour lui c’est abstrait. Mais, si tu associes à cela une belle photo, il voudra découvrir. Il viendra un jour par curiosité et il restera par satisfaction. Mais les acteurs du milieu du théâtre ne peuvent pas tout faire seuls. Il faut que l’État mette des moyens. Un peu comme en Afrique de l’Ouest où l’art vit et par extensions les artistes s’épanouissent.
Sur la scène théâtrale quels artistes vous inspirent ?
Je dirais Éric Delphin qui est le premier comédien camerounais à avoir joué au plus grand festival de théâtre au monde : le festival d’Avignon. En tant que metteur en scène, il a une perception du jeu qui puise dans chaque acteur ce qu’il a de meilleur. Dans ce sens, j’admire aussi Martin Ambara qui fait théâtre de tout et pour qui le corps est musique décor et parole. Mais celui qui m’a le plus influencé c’est Tankoua Rodriguez : un génie à qui je dois beaucoup. Je peux ajouter à cette liste trois danseuses Nancy Nko, Lila Carlier, et Agathe Djokam.
Quelle est l’actualité de Stéphan Dipita sur la scène ?
Récemment j’étais en spectacle au Camer Comedy Club, le 06 mars dernier. Actuellement je suis en tournée nationale avec la pièce de théâtre prom’nons nous dans les contes. La date prochaine c’est un spectacle privé pour le collège français Dominique Savio. On jouera à Yaoundé à l’Institut Français de Yaoundé. Pour l’instant on essaie de synchroniser nos horloges. Mais une fois la date calée le public sera informé à travers mes pages facebook, Twitter et Instagram Stéphan Dipita.
Un message pour les lecteurs de Tallartistik
Je dirais aux lecteurs de Tallartistik d’oser sortir de la monotonie et d’embrasser le théâtre pour naviguer, voyager et rêver. Au milieu des émotions des passions et des histoires séduisantes du théâtre.